Comme nous l'avons vu précédemment, avec les années 250 et suivantes, les premières invasions barbares anéantissent définitivement la "pax romana". Sens, comme bien d'autres villes, va souffrir de ces premiers troubles.
Devant l'imminence des invasions, et conformément aux prescriptions de l'empereur Valérien (253-260), toutes les cités jadis ouvertes devaient se retrancher derrière des murs de fortification. A Sens, point de pierres disponibles en dehors de celles issues du démontage des monuments en place. Les arènes sont détruites, ainsi que les thermes, et les monuments du forum. Les vestiges retrouvés lors de fouilles portent des traces de "destructions brutales" (1). Même les nécropoles participent à l'effort de construction de la muraille en laissant partir les stèles de leurs chers défunts. Pour en arriver là, il fallait que le danger soit vraiment très grand, la défense de la citée étant plus forte que les raisons liées à l'intimité familiale et à la religion. Enfin, les habitations privées situées hors les murs ont très probablement été démontées pour fournir des matériaux de construction. Cette solution était préférable aux incendies que pouvaient provoquer les hordes de barbares.
Pour le début de la construction de la muraille une fourchette de dates allant de 275 à 300 peut être raisonnablement envisagée. Une fois terminée, l'enceinte était l'une des plus grandes de Gaule. Elle formait un ovale de 850 mètres sur 400, pour un périmètre de 2 850 mètres. Toutes ces transformations faisaient table rase du passé; terminé les somptueux monuments apportés par la civilisation romaine.
Composition de la muraille
Une énorme assise, que Tarbé nomme opus cyclopoeum, forme le soubassement de la muraille. Elle est composée de blocs de pierre de grande taille sans liaison de mortier mais avec des attaches de fer (tenons, agrafes ou crampons scellés) disposées dans des trous carrés entre les faces de chaque pierre. Cette assise est plus ou moins importante suivant le type mur édifié et sa situation géographique.
Au-dessus, l'opus mixtum est élevé jusqu'au faîte du mur. Cette expression latine signifie l'alternance de deux appareils architecturaux. Suivant l'importance du mur de cinq à quinze rangées petits moellons rectangulaires en pierre, disposés en assises régulières alternées (opus vittatum) sont séparées de ceintures de deux à quatre rangées de briques rouges (opus testaceum).
Cet assemblage est solidifié par un liant dont la base est commune dans tout l'empire romain, mais localement des différences peuvent exister dans la composition du liant. Par exemple, l'utilisation de lave concassée réduite en poudre est utilisée dans les régions volcaniques, ici en Bourgogne il s'agit d'un mortier de chaux (3).
Sur la photo ci-dessus, la partie supérieure du mur a subi de très nombreuses réparations au cours des siècles. Les opus mixtum et testaceum n'ont pas été remplacés.
Population intra-muros estimée
C'est la majeur partie de la population de la ville ouverte et de ses environs immédiats qui devait se regrouper à l'intérieur de l'enceinte. Nous avons tenté d'estimer la population en faisant des comparaisons avec d'autres villes de l'empire qui possédaient également un amphithéâtre (voir le chapitre sur les arènes). Pour certaines d'entre elles, des chiffres existent, ce qui permet de tenter quelques approximations.
Pour Agendicum, une population de 17 à 20 000 personnes peut être estimée au moment de la destruction des arènes. La densité de population à l'intérieur de la ville close était donc importante.
Les quatre dernières tours
A Sens-Agendicum, seules quatre tours nous sont parvenues sur une trentaine, Le nombre exacte n'est pas connu. Selon Augusta Hure, 30 tours distantes de 53 à 54 mètres se répartissaient le long de la muraille. Pour voir le détail de son calcul, je conseille la lecture de la page 221 de son ouvrage référencé ci-dessous (5). Quand à Tarbé, il en donne 26 dont 14 du côté nord, et 12 du côté sud (6).
La tour de la Brèche
Lors de la séance de la Société Archéologique de Sens du 6 mai 1912, le Chanoine Chartraire donnait communication du décret du 1 mars 1912 signé par le Président de la République Armand Fallières, concernant le classement de la tour gallo-romaine parmi les monuments historiques (3)

Sa construction est comme le mur de la poterne en opus mixtum, et non en opus reticulatum comme le précise Augusta Hure (4). A noter que la maison à gauche de la tour a utilisé la muraille gallo-romaine comme mur extérieur.
La Porte Saint-Hilaire
La tour de la place Jean Jaurès
Étant intégré à une habitation, et pour respecter la propriété privée, je n'ai pas souhaité joindre de photo à cet article. Cependant en passant sur cette place, le dos tourné à l'Office de Tourisme, il est bien difficile de la rater.
La tour du Palais de justice
Incorporée au bâtiment, des fenêtres modernes ont été ouvertes dans la tour. On peut l'apercevoir du quai Ernest Landry.
La tour de la poterne
Sur la muraille gallo-romaine du IIIe siècle, des travaux et aménagements ont été réalisés au moyen âge. Nous reviendrons ultérieurement sur les travaux de 1260 pour la poterne Garnier des Prés ou des Quatre-Mares, et du XVIIIe pour la maison de la courtine et l'aménagement de la porte d'accès à la salle basse.
L'ensemble avait besoin d'une restauration, mais grande a été ma déception quand j'ai vu la tour disparaitre sous un enduit masquant l'architecture d'origine. Pour la retrouver, il ne reste plus que des photos ou des cartes postales anciennes.
Une autre tour
Démolie en 1844, elle faisait face au Clos-le-Roi. Elle était édifiée en opus mixtum.
Une autre poterne
Augusta Hure (5) évoque l’existence d'une autre poterne. Elle aurait eu pour nom Saint-Benoit. Elle aurait été construite avant le 16 juin 891 selon un acte entre Eudes et les chanoines de Sainte-Colombe. Elle ne donne aucune localisation, ni information complémentaire.
Les portes
Au moins trois portes n'ont aucun passé gallo-romain : la Porte Royale construite au XVIIIe siècle, la porte Dauphine édifiée en 1283, la Porte de la Poterne qui date du XIIe siècle. Nous les détaillerons ultérieurement.
Les sept autres portes semblent avoir été ouvertes lors de la construction de la muraille. Du IIIe au XIXe siècle, époque de leur destruction systématique, elles ont été réparées et remaniées de nombreuses fois. A part des dessins exécutés aux XVIIIe et XIXe siècle, il n’existe que très peu d 'éléments architecturaux à disposition. Les noms d'origine ne sont pas connus, exeption faite de la porte Formau.
La porte Notre-Dame
La Porte Notre-Dame était connue dès 423 sous le nom de Porte Saint-Léon. Elle tire son nom du prieuré Notre-Dame du Charnier qui se trouvait de l'autre côté à l'entrée du faubourg (6). Elle a été remaniée voire reconstruite complètement au Moyen Age. Cette affirmation est attestée.par l’existence de mâchicoulis qui n'apparaissent que fin XIIIe début XIVe siècle.

La carte ci-dessus montre la porte avant sa démolition en 1832. La partie supérieure était occupé par une salle d'où était manœuvré la herse. Les mâchicoulis disposés au-dessous permettaient de jeter de l'eau bouillante ou autres liquides et objets variés sur les assaillants. De chaque côté, des petite tourelles disposées en encorbellement renfermaient des escaliers à vis qui descendaient vers l'intérieur de la ville.
Au premier plan, à la gauche du militaire, des restes de colonnes et un chapiteau ont été déposés sur le bord du trottoir. Ces restes proviennent surement d'une démolition de la muraille effectuée à proximité.
La porte Saint-Antoine
Détruite au XVe siècle, puis reconstruite au début du XVIe, elle a été démolie définitivement en 1832 (2) la même année que la porte Notre-Dame. Tarbé précise qu'elle s'appelait anciennement Porte du Cloître (6) De là partait la route de Meaux, route antique appelée via petra.
Les deux tours carrées à forme incurvée et surmontées d'une tourelle ronde terminée par un chemin de ronde crénelé entourent une porte massive .
Là aussi, des démolitions de la muraille proche ont eu lieu. Des éléments antiques, frises sculptées et stèles, sont ici entassés sur le trottoir:
La porte Saint-Didier
Elle se trouvait à l’entrée du Cardo maximus, rue Beaurepaire aujourd'hui, l'autre côté étant fermé par la porte Saint-Rémy. Cette axe était la route de Paris à Lyon.
Avec quelques petites différences, son architecture est très voisine de celle de la porte Saint-Antoine. Le manque d'entretien est visible, la végétation ayant pris possession du dessus de la porte au niveau du chemin de ronde.
La porte d'Yonne et la Grosse Tour
C'était l'une des deux portes du decumanus maximus à l'ouest de la ville. L'autre extrémité, à l'est, était fermée par la porte Formau. Elle donnait directement sur le pont traversant la douve. A l'époque de la création d'Agendicum une gué ou un pont en bois existait, car les routes venant d'Orléans et d'Auxerre entrait dans la ville à cet endroit (2). Aujourd'hui le fossé a été agrandi. Il est devenu le lit de la rivière, quand à l'ancien lit, il est devenu la « fausse rivière ».
Commencée en 995 par le Comte Raynard-le-Viel et démolie au XVIIIe siècle, elle se trouvait au bas de la Grande Rue, à gauche, en entrant en ville par le pont. Elle a été construite sur les fondations de l'un des édifices du forum gallo-romaines .
La porte Saint-Hilaire
Elle tire son nom de l'église paroissiale attenante aujourd'hui disparue. Victor Petit précise qu'elle aurait remplacé une poterne (2). S'agirait-il de la poterne Saint-Benoît dont parle Augusta Hure (5) ?
Sur la carte, la porte est construite contre une tour. Son chemin de ronde ainsi que ceux de la muraille et de la tour ont disparu faute d'entretien.
La porte Formau
Elle fermait le decumanus maximus à l'est. Abattue avant 1804, c'était l'une des plus anciennes porte de la ville. Personne ne semble d'accord sur l'origine du nom. Les uns tendrait vers l'origine latine de formo ou formarer qui signifie former, mais je ne suis pas convaincu. Je me raprocherais plutôt de la deuxième explication selon laquelle le nom serait une déformation de porta formosa que l'on peut traduire par belle porte.
Portes non identifiées
On remarque un bel arc romain au dessus de la porte. Victor Petit (2) parle également d'une porte de ce genre, avec quelques petites différences dans le dessin, et sans lui donner de nom. Elle se situerait, d'après lui, non loin de la porte Saint-Hilaire. S'il s'agit de la même, elle aurait été démolie en 1845.
Au pied, des stèles cassées et un morceau de mur laissent supposer que cette porte, autrefois murée, était en cours de démolition. A l'intérieur, une colonne debout et un fut renversé font penser qu'il pouvait y avoir à cet endroit un monument ancien.
Comme pour la précédente porte, un arc surmonte la porte murée. Il s'agit en faite d'un double arc à bandeaux, comme on peut également le constater dans les thermes Sainte-Barbe de Trèves. C'est un renfort voulu par l'architecte. Son entourage et le reste du mur sont très dégradés et mal réparés. L'opus mixtum d'origine a disparu en plusieurs endroits. La végétation s'est emparée du haut de la muraille, ce qui prouve le manque d'entretien.
Deux hommes s’entretiennent peut-être de l'état de la porte. Seraient-ils de la Société Archéologique de Sens !!!
Autre reste de la muraille
Un reste des remparts boulevard du théatre aujourd'hui boulevard de Garibaldi.
La destruction de la muraille
Au lendemain de Révolution française, les municipalité successives n'ont pas souhaité conserver de traces du passé gallo-romain de la citée. Malgré les incessantes réclamations de nos plus éminents spécialistes, et la création d'un Comité de sauvegarde, ce patrimoine exceptionnel a fait l'objet d'une destruction systématique. Étienne Dodet, spécialiste du XIXe siècle, donne des précisions intéressantes sur cette perte considérable (7).
Sources
(1) Didier PERRUGOT, "L’Yonne et son passé", Expo Archéo 89, page 143
(2) Victor PETIT, "La ville de Sens", éditions du Bastion, 1994
(3) Jean-Pierre ADAM, "Le petit appareil dans l’architecture romaine", Dossiers de l’archéologie, n°25, novembre-décembre 1977
(4) Bulletin de la Société Archéologique de Sens, tome 27, 1912-1913
(5) Augusta HURE, "Le Sénonais Gallo-Romain", éditions Culture et Civilisation à Bruxelles, 1978
(6) Théodore TARBE, "Recherches Historiques et Anecdotiques sur la Ville de Sens, sur son Antiquité et ses Monuments", édition Tarbé, 1838
(7) Étienne DODET, "Sens au XIXe siècle", tome 1, page 33, édité par la Société Archéologique de Sens, 2000