On ne connait pas avec exactitude la date d'arrivée des légions romaines dans le pays sénon et à Sens Agedincum en particulier. Je la situerais entre 57 et 54 avant J-C. Cette année là, le témoignage de César était plutôt flatteur pour les Sénons . « un peuple le plus puissant de la Gaule et qui jouit parmi les autres d'une grande autorité » (Guerre des Gaules, V, 54)(1). Malgré cet éloge, il se méfiait tout particulièrement de ce peuple connu de longue date en Italie (a).
A la fin 53, après l'assassinat du chef sénon Acco (b), César répartit ses légions pour prendre leurs quartiers d'hiver. Sur les dix engagées, six sont affectées en pays sénon, deux chez les Lingons (c) et les deux dernières sur la frontière des Trévires que Labiénus venait de battre (d). (Guerre des Gaules, VI, 44)(1).
Pourquoi une telle répartition ? Pour deux raisons, César se méfie des Sénons, et leur capitale Agedincum est un nœud routier (e), de première importance pour la progression des légions romaines, et l'acheminement des vivres. Après cette opération, César part pour l'Italie pour y tenir ses assises (Guerre des Gaules, VI, 44)(1). Auparavant, il désigne Labiénus pour le remplacer.
(a) voir article « Les Sénons - 1ère partie »
(b) voir article « Les Sénons - 2ème partie »
(c) vers Dijon ou Langres
(d) probablement à Mouzon, petite ville des Ardennes, sur l’ancienne voie romaine de Reims à Trèves.
(e) voir article « Le réseau routier »
C'est un est un général romain. Dès 63 avant J-C, César le remarque pour son sens aigu du commandement et ses qualités de stratège. Durant toute la guerre des Gaules de 58 à 51 avant J-C, il sera son principal lieutenant, avec le titre de légat propréteur (a). Il le remplacera même lors de ses allers et retours de Rome. Les deux hommes se connaissent bien. Ils sont du même âge, et ont probablement fait leurs études ensemble à Rome.
(a) magistrat qui a la charge du gouvernement d'une province.
Quartiers d'hiver à Sens Agedincum (53-52 avant J-C)
L'emplacement de la ville sénonne n'est pas connue avec exactitude. Augusta HURE (2) la situe de part et d'autre de la rivière Yonne avec des postes-vigies surplombant la rivière sur les hauteurs de Saint-Martin-du-Tertre. Cette technique de surveillance des axes routiers et fluviaux a été reprise par la suite par les romains. Elle permettait l'économie de tour en bois de type mirador. On connait grâce aux archéologues l'emplacement de certains de ces postes de surveillance ainsi que de l'emplacement des feux dont les cendres ont pu être identifiées et datées. César lui-même avait été étonné de la vitesse de propagation des nouvelles à travers la Gaule.
Labiénus ne regroupe pas toutes ses légions (a) dans un seul et même endroit. Ce serait contraire à toute logique militaire. Il les repartit sur tous les points stratégiques de Sens Agedincum et de sa région. J'imagine par exemple qu'il avait disposé plusieurs cohortes (b) voir une légion entière non loin de Saint-Valérien, sur les deux grands axes routiers.sud-nord et est-ouest pour les raisons exposées plus haut.
Dans le Sénonais, plusieurs emplacements de campements romains ont été identifiés par l'archéologie. A Sens, l'un d'entre eux appelé « Camps de César » est situé à proximité du sanctuaire de la « Motte du Ciar » (c ). Un autre situé sur la commune de Villeneuve-sur-Yonne à plusieurs kilomètres d'Agedincum a été étudié à la fin du XIXe siècle (2).
(a) 1 légion = 4 500 hommes environ, 27 000 hommes dans le cas présent.
(b) 1 légion = 10 cohortes
(c) voir article « Sens et la Motte du Ciar »
Illustration Wikipédia
En ce début 52, la situation n'était pas brillante pour les romains, d'abord le massacre des leurs installés à Orléans Cenabum (Guerre des Gaules, VII, 3)(1), puis la cuisante défaite de Gergovie (Guerre des Gaules, VII, 44)(1). Il y avait eu quelques petites victoires mais l'envahisseur romain avait décidé d'en finir.
Labiénus était informé du retour de César vers le pays sénon (Guerre des Gaules, VII, 56)(1), ce qui était une bonne nouvelle. Malgré tout, ill savait qu'une coalition de plusieurs peuples commençait à s'organiser aux environs de Lutèce. La situation devenait donc critique.
Avec son état major, Labiénus prend la décision d'une opération éclair sur Lutèce, de prendre la coalition par surprise, puis de rentrer rapidement pour faire la jonction avec César. Il emmènera avec lui quatre légions (a) composées d'hommes reposés. Les troupes de renfort qu'il venait de recevoir d'Italie resteront sur place pour garder le cantonnement et les bagages. Donc chacun partira avec un paquetage réduit, de sorte que la marche forcée soit rendue plus facile (b). (Guerre des Gaules, VII, 57)(1).
En temps que fin stratège, je suppose qu'il avait étudié minutieusement l'itinéraire du moins jusqu'à proximité de Melun Metlosedum (c), dernière ville sénonaise avant d'entrer dans le territoire des Parisii, et sur laquelle nous reviendrons dans un autre article. En effet, à aucun moment César n'en parle dans De Bello Gallico. On peut imaginer qu'il avait emprunté la route la plus rapide et la plus sûr, en évitant soigneusement celle des rives encaissées de l'Yonne, propice aux embuscades. La route passant par Saint-Valérien, Voulx et Moret-sur-Loing est beaucoup plus sécurisante. La force des romains est l'affrontement en terrain dégagé. Ici je ne donne qu'un avis personnel, connaissant parfaitement bien les deux itinéraires.
(a) soit environ 18 000 hommes.
(b) Rappel : La cadence normale de la légion dans ses déplacements était de 5 kilomètres par heure, puis 10 minutes de pause. Cette cadence était maintenue pendant 5 à 7 heures par jour. En cas d'urgence, une cadence accélérée de 7 kilomètres par heure pouvait être soutenue pendant plusieurs heures.
(c) Metlosedum : nom d'origine celte dont la traduction serait « la résidence des moissonneurs ». Autre orthographe rencontrée : Melodunum
« C'est une ville des Sénons située dans une île de la Seine comme nous venons de dire qu'était Lutèce.Labiénus s'empare d'environ cinquante embarcations, les unit rapidement les unes aux autres et y jette des soldats. Grâce à la surprise et à la terreur des gens de la ville, dont un grand nombre était parti pour la guerre, il se rend sans combat maitre de la place ». (Guerre des Gaules, VII, 58)(1).
La coalition est composée de Sénons, de Parisii, d'Aulerques (peuples de la région du Mans et d'Evreux), et de quelques autres. La direction en est confiée à Camulogène, en raison de sa science militaire, malgré son grand âge. Camulogène voulant tirer parti des marais alimentés par l'Essonne, de la Bièvre, l'Orge et quelques autres rus s'y retrancha pour attendre la venue des légions de Labiénus. Celui-ci change de tactique, et retourne à Metlosedum qu'il pille et rase complètement. Pensant qu'elle devait aller attaquer l'envahisseur romain plus qu sud, la coalistion se désunit. Dans la débandade, Camulogène est tué. La bataille est alors terminée. (Guerre des Gaules, VII, 60, 61 & 62)(1).
Illustration Wikipédia
« Cette action terminée, Labiénus retourne à Agedincum, où avait été laissés les baggages de toute l'armée ; puis avec ses troupes, il rejoint César » Le point de jonction se trouve entre Sens et Joigny selon les notes annexées à « la Guerre des Gaules », version que vous trouverez dans la rubrique « la bibliothèque du Blog »
(1) Jules CESAR, « La Guerre des Gaules », traduction de L.-A.CONSTANS, chez Folio Classique n°1315, août 2010.
(2) Augusta HURE, « Le Sénonais aux âges de bronze et du fer. Les Sénons d'après l'aerchéologie », édition « Culture et civilisation » à Bruxelles